J’ai fait de la bière pendant 25 ans. Durant cette période, seulement trois personnes (des brasseurs) m’ont demandé quelles sortes d’orge et de levure j’utilisais. Maintenant, malgré toutes les excellentes bières disponibles sur le marché et malgré tous ces consommateurs curieux, elles sont encore très souvent classées par couleurs (blanche, ambrée, blonde, rousse, brune ou noire), et surtout jamais par variétés d’orge employées.
Certains diront qu’à la SAQ, les vins sont plus classés par couleur de pastilles que par cépage. N’empêche, les sommeliers présentent et font valoir leurs suggestions par le cépage, entre autres caractéristiques.
À la lecture du cépage sur l’étiquette d’une bouteille de vin, on peut déjà anticiper certaines saveurs.
La façon de mener les opérations lors de la vinification, la levure et le bois des fûts influencent le résultat final certes, mais il est indéniable que le fruit laisse sa marque; le Chardonnay nous fait espérer la poire, le citron, l’acacia, la noisette, le cuir, etc. alors que le Gamay promet la framboise, le cassis et la pivoine.
Même s'il a plus en commun avec la bière qu’avec le vin, le saké est parfois nommé « vin de riz » et « Rice Wine » en anglais.
À la lecture de la variété de Sakamai (riz à saké) sur l’étiquette d’une bouteille de saké, peut-on pressentir des saveurs comme avec les cépages? Est-ce que le cultivar annonce le goût du saké?
Même si la saveur d'un saké est influencée par son style de brassage, le taux de polissage du riz, la souche de levure utilisée — qui sont tous décidés en dernier lieu par le Toji, la variété de Sakamai affecte certainement le produit final. Mais pas aussi directement qu’un cépage imprègne le vin.
Alors, pourquoi cette attention particulière sur le cultivar dans le cas du saké?
Le saké ne représente qu’une infime portion de tout ce qui se boit comme alcool dans le monde. Même au Japon, depuis les années soixante, sa consommation est en déclin, justement au détriment de celle du vin.
Voulant cesser de céder des parts du marché domestique et, surtout, conquérir ceux à l’étranger, les fabricants de saké font l’effort d’une grande séduction auprès des consommateurs de vin.
De cet effort, en plus du surnom « vin de riz », sont nés des produits comme les sakés pétillants, mousseux et même rosés; des sakés millésimés ou vieillis en fût ainsi que des bouteilles et des étiquettes qui ressemblent parfois à celles du vin.
Même les Ginjo et Daiginjo, dont la consommation est plutôt marginale au Japon, sont mis en valeur aux concours internationaux parce qu’ils ont, avec leurs arômes fruités et floraux, de quoi séduire les sommeliers et les buveurs de vin. De même, les procédés Yamahai et Mizumoto imprègnent aux sakés une acidité qui plaît plus aux palais occidentaux qu’à celui des Japonais.
L'industrie du saké a jugé, avec raison, que les sommeliers (WSET et autres) sont les meilleurs ambassadeurs du saké, les plus crédibles professionnels, pour convaincre un consommateur qu’il n’y a pas de vin meilleur qu’un saké pour accompagner les mets japonais certes, les huîtres crues et le poisson grillé, mais, aussi, le soufflé aux épinards, la quiche aux asperges, la pizza aux anchois ou les plateaux de fromages.
Nos sommeliers, par leur formation, pourraient croire que le cultivar est important. Et vous me direz que n’ayant pas ou presque pas mangé de riz, ils sont inaptes à reconnaître les subtiles dissemblances de goût entre les différentes variétés. Je vous répondrai que c’est la même chose avec les cépages. Combien d’entre eux ont goûté au Gamay, au Sangiovese ou au Brunello à même la grappe? Ça ne les empêche pas de nous instruire du caractère des différents vins et de les catégoriser plus subtilement que par pastilles de couleur.
C’est pour ça que les Toji fournissent à ces professionnels le nom des cultivars, pour qu’ils puissent faire comme avec le vin, nous enseigner, pour chaque saké, d’où il vient, du Sakamai dont il fait, et nous raconter une histoire qui évoque des saveurs et nous fait saliver.
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